Mesure du sans-abrisme et de l'absence de chez-soi
Collecte des données
Le Comité de gestion du Service de lutte contre la pauvreté a constaté qu’aucune rencontre d’un Groupe de travail sans-abrisme de la Conférence interministérielle ‘Intégration sociale, logement et politique des grandes villes’ (CIM) n’avait eu lieu ces dernières années. Par conséquent, le type de données à collecter sur le sans-abrisme et l’absence de chez-soi et la façon dont le Service de lutte contre la pauvreté pourrait remplir son mandat en tant que point de collecte commun – comme formulé dans l’Accord de coopération de 2014 – n’ont pas été établis. Le Comité de gestion a ainsi demandé la création d’un groupe de travail interfédéral au sein du Service.
Une note pour la concrétisation de son mandat a donc été rédigée par le Service de lutte contre la pauvreté, dans le prolongement de l’étude MEHOBEL (‘Measuring homelessness in Belgium’) et de l’état des lieux qui a été dressé lors des réunions du groupe de travail interfédéral.
MEHOBEL (2015-2018) est un projet de recherche qui vise à créer une stratégie belge de monitoring en matière de sans-abrisme, avec pour objectif d’atteindre le niveau politique et scientifique.
Méthode de mesure
Le projet de recherche MEHOBEL propose une stratégie de mesure du sans-abrisme et de l’absence de chez-soi articulée en 5 axes :
Dénombrement point-in-time
Les dénombrements des personnes sans abri et sans chez-soi sont réalisés annuellement ou bisannuellement par chacune des trois Régions belges individuellement. C’est toutefois la même typologie qui est employée par toutes : la typologie ETHOS Light.
Bien qu’il soit impossible de produire des chiffres qui reflètent avec précision la réalité, l’objectif de la répétition des dénombrements est de comparer d’année en année les chiffres et de formuler des hypothèses sur l’évolution de la situation des personnes sans abri et sans chez-soi.
Statistiques annuelles pour les cinq catégories suivantes
L’absence d’adresse des sans-abris et sans chez-soi pose différents problèmes, notamment en ce qui concerne l’accès à leurs droits. Pour contrebalancer cette difficulté, il leur est possible de s’inscrire à une adresse de référence. Il s’agit soit de l’adresse d’une personne physique inscrite aux registres de la population au lieu où elle a établi sa résidence principale, soit celle d’un CPAS, et où, avec l’accord de cette personne physique ou morale (CPAS), une personne physique dépourvue de résidence fixe est inscrite.
Cette adresse de référence ne concerne pas uniquement les personnes sans domicile fixe. Les fonctionnaires ou les militaires en mission à l’étranger, par exemple, peuvent également en faire usage. Il y a donc lieu, afin de distinguer les données et de permettre le suivi des personnes concernées, de catégoriser les différents types d’adresse de référence possibles grâce à des “codes bénéficiaires”.
Pour obtenir un chiffre, on peut également lier manuellement les données du Registre National aux adresses des CPAS, un exercice qui a déjà été réalisé par le SPP Intégration sociale, qui projette de le reproduire à l’avenir. D’après cet exercice, en Belgique fin juin 2024, 14.223 personnes avaient une adresse de référence auprès d’un CPAS, dont 33,1% en Région flamande, 38,6% en Région wallonne et 28,3% en Région de Bruxelles-Capitale.
Comme cela a déjà été démontré par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale dans le Rapport bisannuel 2016-2017 ‘Citoyenneté et pauvreté’ et dans un Cahier de jurisprudence – L’adresse de référence auprès d’un CPAS. Etude de la jurisprudence des cours et tribunaux du travail 2016-2017 de 2018, l’octroi de l’adresse de référence est problématique, car l’inconditionnalité de ce droit est contestée au niveau local. De plus, les refus d’adresses de référence devraient être enregistrés afin d’obtenir un indicateur plus fiable. Une circulaire de 2023 est venue préciser les conditions d’inscription.
Depuis 2003, l’enquête EU SILC recueille chaque année des données relatives aux revenus, à la pauvreté, à l’exclusion sociale et aux conditions de vie. Ces données permettent surtout de mesurer l’accessibilité financière des logements. Les indicateurs suivants sont notamment mesurés chaque année : qualité et accessibilité financière des logements, pourcentage de la population vivant dans des ménages où le coût total du logement excède 40 % du revenu disponible. Ce dernier est repris dans le point c.
Concernant le logement, la Belgique a décidé d’ajouter le module optionnel relatif au sans-abrisme et à l’absence de chez-soi dans l’enquête EU SILC 2018. Il serait pertinent d’ajouter ce module chaque année (ou tous les deux ans) à l’enquête EU SILC. On y retrouve des données statistiques sur les indicateurs suivants : expériences passées de difficultés de logement (loger temporairement chez des amis ou des proches, dans des centres d’hébergement, dans des logements non conventionnels ou dans l’espace public), la durée de l’expérience la plus récente de difficulté de logement, la raison principale pour ces difficultés, les raisons supplémentaires, ainsi que les raisons ayant mené à une solution pour ces difficultés. STATBEL a à nouveau ajouté ce module à l’enquête en 2023 et il est prévu de répéter cela tous les six ans.
Selon Statbel, ‘’une personne se trouve en situation de privation grave du logement quand le logement est considéré comme surpeuplé et présente au moins un des problèmes suivants: (a) le toit qui fuit, (b) de l’humidité sur les murs ou au sol, (c) le pourrissement des boiseries, (d) ni baignoire, ni douche ni toilette intérieure, (e) le logement trop sombre.’’
Tableau : Taux de privation grave de logement pour les 3 dernières années selon STATBEL
Source : Statbel – Indicateurs SILC
Pour de plus amples explication sur l’enquête EU SILC, voir point b.
Selon Statbel, le taux de surcharge des coûts du logement est le ‘’pourcentage de personnes vivant dans un ménage où le coût du logement représente plus de 40% du revenu disponible. Le coût du logement recouvre les intérêts des versements pour des emprunts relatifs au logement, le loyer payé, les coûts liés aux services énergétiques, l’entretien des endroits communs dans le logement ou l’utilisation de l’ascenseur, l’assurance incendie ou risques similaires, l’enlèvement des déchets, l’entretien et les petites réparations, le précompte immobilier.’’
Ces chiffres sont mesurés chaque année dans le cadre de l’enquête EU SILC. Depuis 2019 ces chiffres sont ventilés par Région. Selon l’Observatoire de la Santé et du Social de la Région Bruxelles-Capitale, il serait aussi intéressant d’y ajouter les prix moyens des loyers par Région.
Tableau : Taux de surcharge des coûts du logement ou pourcentage de personnes qui vivent dans un ménage qui consacre plus de 40% du revenu disponible au logement (EU SILC) pour les 3 dernières années selon STATBEL
Source : Statbel – Indicateurs SILC
Les expulsions judiciaires se font à la suite d’un jugement prononcé par le juge de paix. . Les chiffres disponibles sont des évaluations / extrapolations de données obtenues par l’entremise de CPAS, de communes et de sociétés de logement social. Pourtant, outre les conséquences économiques entrainées par l’expulsions, la rupture qu’elle représente pour un ménage est douloureuse et ébranle de nombreux pans de la vie : résidentiel, scolaire, psychologique, social et familial. Selon une étude de la Fondation Abbé Pierre, « un à trois ans plus tard, 32 % des ménages n’ont toujours pas retrouvé de logement et vivent encore à l’hôtel, chez un tiers, dans d’autres formes de non-logement (mobile-home, camping, hôpital, squat, etc.), voire à la rue. Ceux qui ont retrouvé un logement ont passé en moyenne 11 mois sans logement personnel. » (Fondation Abbé Pierre (2022), Que deviennent les ménages expulsés de leur logement? Des trajectoires de vie fragilisées, p.4).
Les chiffres disponibles ne donnent qu’une indication du nombre d’expulsions judiciaires. Le nombre de personnes qui perdent leur logement à la suite d’une déclaration d’insalubrité (expulsions administratives) ou d’une expulsion qui ne fait pas intervenir le juge de paix (expulsions sauvages) reste ainsi inconnu.
S’agissant de Bruxelles, selon l’Observatoire bruxellois de la Santé et du Social dans un rapport de 2020, il y aurait environ 5.000 demandes d’expulsions judiciaires par an. Ce chiffre est à prendre avec prudence car pouvant être sous-estimé d’après l’Observatoire (Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (2020), Baromètre Social: Rapport Bruxellois sur l’état de la pauvreté, p.119). La chambre des huissiers de l’arrondissement de Bruxelles fournit des estimations de 500 à 600 expulsions effectives par an. Toujours pour 2018, une recherche de la VUB et l’ULB dans le cadre du projet Bru-Home dénombre 3.908 jugements d’expulsion par un juge de paix de la Région bruxelloise, soit une moyenne de 11 décisions d’expulsion rendues par jours, week-end et jours fériés compris. En ce qui concerne les expulsions administratives, faute de registre qui les recenserait à Bruxelles, il n’est pas possible d’obtenir des chiffres fiables. Dans 8 cas sur 10, les jugements d’expulsions sont motivés par des arriérés de loyer, dont le montant médian s’élève à 2.900 € (P. Godart, et al. (2023), Les expulsions de logement à Bruxelles : combien, qui et où ?, Brussels Studies, Collection générale, n° 176).
En Flandre, selon un sondage de la VVSG (Association des villes et communes flamandes) qui est répétée annuellement, 10 à 12 000 familles risquent de perdre leur logement chaque année. En 2020, 10.072 ménages étaient menacés d’expulsion en Flandre. En 2023, on dénombrait 2.254 procès-verbaux d’expulsion dressés.
Quant à la Wallonie, les chiffres sont fournis par l’IWEPS (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique). Il est toutefois difficile d’obtenir des données, car celle-ci ne sont pas aisément accessibles. Malgré ces limites, le Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat avance une estimation de 4.000 à 5.000 expulsions ordonnées par an minimum (uniquement procédures légales). Un rapport de l’IWEPS a permis de dénombrer de l’ordre de 12.000 à 15.000 jugements rendus annuellement en matière de bail à loyer après 2008. Parmi ceux-ci, les jugements ordonnant l’expulsion sont majoritaires ; ils représentent environ 1/3 de l’ensemble des décisions. En extrapolant et en supposant que le nombre de jugements rendus est resté stable depuis, on aboutit à cette estimation de 4000 à 5.000 jugements d’expulsions rendus par an en Wallonie (Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat, Démarche exploratoire en matière de prévention et de lutte contre les expulsions, p. 9).
Dans les trois Régions, il est important de souligner qu’il faut tenir en compte à la lecture de ces chiffres de deux éléments, d’une part le fait que les CPAS sont tous interrogés, mais seuls une partie d’entre eux répondent au questionnaire et d’autre part, qu’il n’y a pas de méthode homogène et systématique d’encodage. Il n’est donc, à l’heure actuelle, pas possible d’obtenir des dénombrements exhaustifs. Par ailleurs, tous les jugements d’expulsions ne débouchent pas nécessairement sur l’envoi d’un huissier au logement, une partie des expulsés déménageant volontairement à la suite du rendu de la décision (P. Godart, et al. (2023), Les expulsions de logement à Bruxelles : combien, qui et où ?).
En ce qui concerne les expulsions administratives et illégales, aucune statistique n’a été publiée à ce jour. Les inspections régionales du logement et la police disposent également de données, qui sont malheureusement également incomplètes.
Il est important de souligner que ces chiffres reflètent un problème structurel à Bruxelles ; la cause profonde de ces expulsions est moins les loyers impayés que les loyers devenus impayables pour une grande part de la population, entrainant des arriérés de loyers et des ménages qui peinent à trouver un nouveau logement lorsqu’elles doivent quitter le leur (P. Godart, et al. (2023), Les expulsions de logement à Bruxelles : combien, qui et où ?).
Le nombre de personnes en liste d’attente pour un logement social est un bon indicateur du nombre de personnes vulnérables et de l’accessibilité du logement. La Région bruxelloise a une liste d’attente commune à l’ensemble de la région. En Flandre et en Wallonie, il existe un registre central d’inscription couvrant toutes les sociétés de logement.
Enquête SILC-CUT
La recherche ‘SILC-CUT’, est une enquête réalisée en 2012 par HIVA avec la coopération de l’agence de statistiques IPSOS, à la demande du Service de lutte contre la pauvreté et de BELSPO (Politique scientifique fédérale) en Belgique auprès d’environ 6.000 ménages, qui vise à étudier la sous-représentation de certains groupes dans les banques de données et statistiques officielles et notamment les personnes sans abri/sans chez-soi et les personnes en séjour irrégulier. En effet, ces deux groupes ne sont généralement pas représentés lors des recherches statistiques car ces échantillons sont basés sur le registre national. Le but est donc de pallier cette absence en vue de compléter les études réalisées. La recherche se concentre sur les personnes sans abri et sans chez-soi d’une part et sur les personnes en séjour irrégulier d’autre part.
L’enquête a démontré qu’en 2012, 200.000 à 300.000 personnes exposées à un risque élevé de pauvreté tombaient hors du champ de son pendant européen EU-SILC. Or, cette recherche constitue une source importante pour les indicateurs de pauvreté et pour la détermination du seuil de pauvreté. Pour la Belgique, Statbel, l’office belge de statistique (connu dans le passé sous l’appellation Institut national de Statistiques), s’appuie sur le Registre national pour interroger un échantillon de la population dans le cadre d’une enquête en face-à-face. Les personnes en séjour illégal et les sans-abris/mal-logés ne sont donc jamais éligibles. La recherche SILC-CUT visait donc à combler cette lacune.
L’enquête a été menée durant l’année 2010 auprès de 275 personnes sans abri et sans chez-soi et 170 personnes sans papier. A l’aide d’un questionnaire et en collaboration avec des organisations d’aide pour atteindre ces groupes, elle a sondé les 5 critères suivants :
Selon les données de l’enquête EU‐SILC en 2008, 14,7% de la population belge vivait sous le seuil de pauvreté. En d’autres termes, ils disposaient d’un revenu équivalent inférieur à 900 euros par mois. L’enquête SILC-CUT démontrait que plus de 70% des sans‐abri et sans chez-soi et plus de 95% des personnes en séjour illégal se situaient sous ce seuil. La plupart d’entre eux se trouvaient d’ailleurs bien plus bas : 60% des sans‐abri et sans chez-soi et 90% des personnes en séjour illégal vivaient avec moins de 450 euros par mois. Un tel montant est en outre nettement inférieur au revenu d’intégration accordé par le CPAS.
Selon les données de l’enquête EU‐SILC de 2008, une personne sans abri ou sans logement sur sept et une personne en séjour illégal sur cinq avait travaillé au cours du mois écoulé. Travailler protège considérablement la population belge contre la pauvreté financière : 4,8% des Belges qui travaillaient vivaient sous le seuil de pauvreté. Par contre, parmi les sans‐abris et les mal-logés qui travaillent, ce pourcentage atteignait 50%. Parmi les personnes en séjour illégal, il frôlait même les 93%. En outre, il s’agit généralement de travail à temps partiel et de travail au noir.
Les sans-abris et les mal-logés qui ne séjournaient pas dans un centre d’accueil n’étaient souvent pas en mesure de pourvoir à leurs besoins les plus rudimentaires. Seul un peu plus de la moitié d’entre eux avait un accès à l’eau potable et un peu plus de 30 % seulement pouvait acheter ou préparer un café. La moitié d’entre eux n’était pas en mesure d’aller aux toilettes, même contre paiement, dans leur lieu de séjour ; et un tiers seulement avait accès à des installations sanitaires.
Environ la moitié des personnes en séjour illégal vivait dans un logement (généralement un studio meublé) ; les autres avaient trouvé un abri temporaire dans une institution ou étaient sans‐abri/mal-logées. Le logement des personnes en séjour illégal est souvent insalubre. Selon les données de l’enquête EU‐SILC 2008, un ménage belge sur cinquante ne disposait pas soit d’un bain ou d’une douche, soit d’eau chaude courante, soit de toilettes avec chasse d’eau dans le logement. Chez les personnes en séjour illégal, c’était une personne sur cinq. 60% d’entre elles disposait d’un logement présentant des ‘manquements structurels’ ou d’un logement trop petit, contre 30% des ménages belges moyens. En outre, malgré ces nombreux défauts, la charge financière du loyer sur les revenus pour les personnes en séjour illégal est très lourde : un tiers d’entre elles consacrait plus de 40% du revenu du ménage au loyer.
24% des sans‐abri et sans chez-soi et 37% des personnes en séjour illégal évaluaient leur santé comme étant ‘mauvaise’ à ‘très mauvaise’. Les troubles psychiques et nerveux étaient particulièrement fréquents : manque de sommeil, solitude, angoisse et addiction. Un quart des sans-abris et sans chez-soi devaient également faire face à une consommation excessive d’alcool ; cependant, les drogues n’étaient que très peu présentes dans ce groupe. En outre, l’accès aux soins de santé est limité pour eux : un sans‐abri ou mal-logé sur dix et presque une personne en séjour illégal sur six avait reporté ou annulé une visite chez le médecin au cours des 12 derniers mois pour des raisons financières.