Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale

Peut-on parler de vieillissement prématuré chez les personnes pauvres ? 

Dernière mise à jour : 15/07/2016
Cette mise à jour concerne uniquement les données de EU-SILC.

Oui. Les conditions de vie difficile des personnes pauvres entrainent un vieillissement prématuré.

Commentaire :

Le “capital santé” des personnes qui vivent en situation de pauvreté est prématurément détérioré. Le stress chronique, les effets nocifs liés à l’environnement (logement, lieux de travail, quartier), le manque de sommeil, les accidents, une alimentation peu équilibrée, l’abus d’alcool ou d’autres drogues, etc. sont autant de facteurs qui peuvent contribuer à abîmer le corps et accélérer le vieillissement biologique chez des personnes qui vivent dans la pauvreté.
La santé mentale est elle aussi soumise à rude épreuve.

Selon le Collectif Morts de la rue Bruxelles qui recense les décès parmi les personnes qui ont vécu une partie de leur vie dans la rue, l’âge moyen du décès est de 46 ans à Bruxelles en 2010 (contre 48,6 en 2008).

Ce constat, les professionnels de santé de terrain le font depuis longtemps, tout comme des médecins inspecteurs ou médecins du travail : des personnes sont reconnues comme étant devenues incapables de travailler tout en n’ayant pas un problème de santé précis ou spécifique qui justifie cette incapacité (l’usure de l’organisme n’est pas une «maladie» reconnue officiellement). Ces professionnels expliquent : “on est parfois contraints à refuser une invalidité parce qu’on n’a pas les éléments précis pour la justifier alors qu’on est convaincu, et que tout employeur serait également convaincu, que cette personne n’est plus capable d’assurer un travail physique”. Sans doute ceci serait très fréquemment le cas si ces médecins avaient à juger de la capacité au travail de personnes ayant dépassé l’âge de la retraite. (source : Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, Pauvreté et vieillissement, Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2008, Commission communautaire commune, 2008, p. 66; 77)

Le vieillissement prématuré se retrouve aussi dans les statistiques.
Les différences d’espérance de vie entre les groupes sociaux sont connues. Ainsi la différence en termes d’espérance de vie entre le plus haut et le plus faible niveau d’instruction s’élevait, en 2001, à 7,47 ans pour les hommes et 5,92 ans pour les femmes.

Tableau 13a. Espérance de vie (année) pour les hommes âgés de 25 ans par niveau d’instruction en 2001*

Education

2001 (*)

Supérieur

55,03

Secondaire supérieur

52,52

Secondaire inférieur

51,33

Primaire

49,29

Pas de diplôme

47,56

Total

51,38

*Les données de mortalité proviennent du registre national des personnes physiques. Ces données sont couplées à celles du dernier recensement de 2001.
Source : Herman Van Oyen, Patrick Deboosere, Vincent Lorant, Rana Charafeddine (Eds.), Les inégalités sociales de santé en Belgique, Gent, Academia Press, 2011, p. 19

Tableau 13b. Espérance de vie (année) pour les femmes âgées de 25 ans par niveau d’instruction en 2001*

Education

2001 (*)

Supérieur

59,90

Secondaire supérieur

58,52

Secondaire inférieur

58,00

Primaire

56,17

Pas de diplôme

53,98

Total

57,09

*Les données de mortalité proviennent du registre national des personnes physiques. Ces données sont couplées à celles du dernier recensement de 2001.
Source : Herman Van Oyen, Patrick Deboosere, Vincent Lorant, Rana Charafeddine (Eds.), Les inégalités sociales de santé en Belgique, Gent, Academia Press, 2011, p. 20

Mais les différences despérance de vie en bonne santé sont encore beaucoup plus importantes : un homme qui n’a pu suivre aucun enseignement avait, en 2004, 18,58 ans d’espérance de vie en bonne santé de moins que les hommes avec les formations les plus élevées ; pour les femmes, cette différence s’élevait à 18,18 ans.

Tableau 13c. Espérance de vie en santé pour les hommes âgés de 25 ans selon le niveau d’instruction en 2004*

Espérance de vie sans incapacité

Education

2004 (*)

Supérieur

46,33

Secondaire supérieur

41,54

Secondaire inférieur

39,71

Primaire

36,65

Pas de diplôme

27,75

Total

40,47

*Les données proviennent de l’enquête de santé par interview de l’année 2004
Source : Herman Van Oyen, Patrick Deboosere, Vincent Lorant, Rana Charafeddine (Eds.), Les inégalités sociales de santé en Belgique, Gent, Academia Press, 2011, p. 33

Tableau 13d. Espérance de vie en santé pour les femmes âgéés de 25 ans selon le niveau d’instruction en 2004*

Espérance de vie sans incapacité

Education

2004 (*)

Supérieur

47,10

Secondaire supérieur

41,27

Secondaire inférieur

42,01

Primaire

36,27

Pas de diplôme

28,92

Total

40,42

*Les données proviennent de l’enquête de santé par interview de l’année 2004
Source : Herman Van Oyen, Patrick Deboosere, Vincent Lorant, Rana Charafeddine (Eds.), Les inégalités sociales de santé en Belgique, Gent, Academia Press, 2011, p. 35

Bien que l’espérance de vie soit de plus en plus longue pour les différents groupes sociaux, les écarts entre eux ne diminuent pas. Pour les groupes les plus pauvres, l’augmentation de l’espérance de vie se fait au même rythme que la durée de vie en mauvaise santé.

L’état de santé général, évalué sur base de ce qu’en disent les personnes elles-mêmes, évolue au fur et à mesure de l’âge et se détériore plus rapidement chez les personnes qui vivent dans des conditions difficiles. Si on utilise le niveau d’instruction comme indicateur du statut socioéconomique, il apparait que, dans la catégorie des 45 – 54 ans, 15 % des personnes disposant d’un faible niveau de formation sont en mauvaise santé, contre 4 % pour les personnes qui ont suivi un niveau supérieur de formation. Le tableau 13f compare l’état de santé des 45 – 54 ans avec un faible niveau d’instruction en Belgique avec celui des pays voisins.

Tableau 13e. Pourcentage de la population qui se dit en mauvaise santé selon le niveau d’instruction et l’âge, Belgique, 2014

Niveau d’éducation *

Classe d’âge  25-34

Classe d’âge 35-44

Classe d’âge 45-54

Classe d’âge 55-64

Classe d’âge 65-74

Classe d’âge 75-84

Classe d’âge 85+

Faible niveau d’éducation

11,8

14,0

15,0

15,7

15,2

21,3

22,6

Niveau moyen d’éducation

2,6

4,4

8,3

5,9

7,1

14,6

20,2**

Haut niveau d’éducation

1,0

1,8

3,8

3,7

4,7

18,3

6,3**

*Données pour les niveaux conformément aux International Standard Classification of Education (ISCED); niveaux (0-2): faible niveau d’éducation; niveaux (3-4) : niveau moyen d’éducation; niveaux (5-6) : haut niveau d’éducation
**
Peu fiable
Source : Eurostat, EU-SILC 201
4

Tableau 13f. Pourcentage des 45 – 54 ans qui se disent en mauvaise santé selon le niveau d’instruction et l’âge, Belgique, pays voisins et EU-28, 2014

Niveau d’éducation*

Belgique

Allemagne

France

Pays-Bas

EU-28

Faible niveau d’éducation

15,0

14,0

11,9

8,5

9,9

Niveau moyen d’éducation

8,3

7,1

7,0

6,0

6,4

Haut niveau d’éducation

3,8

2,8

3,3

2,7

2,8

*Données pour les niveaux conformément aux International Standard Classification of Education (ISCED); niveaux (0-2): faible niveau d’éducation; niveaux (3-4) : niveau moyen d’éducation; niveaux (5-6) : haut niveau d’éducation
**Non disponible
Source : Eurostat, EU-SILC 2011

Les chiffres montrent donc bien que, d’une certaine manière on atteint un niveau “d’usure” ou de “détérioration du capital santé” de manière bien plus précoce quand on vit dans des conditions de pauvreté. Des chercheurs se sont aussi intéressés à ce phénomène et ont pu montrer que l’âge “biologique” (l’âge de nos cellules) ne correspondait pas toujours à l’âge “chronologique” (celui défini par notre date de naissance). Les personnes qui vivent dans des conditions difficiles et doivent faire face à un stress chronique ont un âge biologique bien plus élevé que leur âge “chronologique” (Epel 2004). Certaines habitudes comme fumer font vieillir plus vite. Inversement manger beaucoup de fruits et de légumes, avoir régulièrement des activités physiques protège du vieillissement précoce. Cependant, même si on sait aussi que le tabagisme est plus fréquent et la consommation de fruits et de légumes plus faible dans les milieux défavorisés, ceci n’explique pas l’importance du vieillissement trop rapide chez les personnes pauvres qui se marque jusque dans les cellules de l’organisme. Ce vieillissement trop rapide et qui commence plus tôt expliquerait en partie la plus grande fragilité des personnes pauvres devant des maladies liées au vieillissement comme les maladies cardiaques, les cancers ou la démence. Les femmes pauvres ont aussi plus fréquemment une ménopause précoce (avant 45 ans) qui les rend plus vulnérables à des problèmes cardiaques ou à l’ostéoporose. (source : Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, Pauvreté et vieillissement, Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2008, Commission communautaire commune, 2008, p. 33)

On sait aussi que le vieillissement peut se passer plus ou moins bien. Les personnes pauvres disposent moins souvent des nombreux facteurs qui permettent de “mieux vieillir” comme le fait d’avoir un réseau social étendu, de se sentir utile, d’être reconnu par la société, d’être bien informé des ressources et services disponibles, etc.