Faits
Une nouvelle loi modifie des dispositions sur les baux à loyer1. Plusieurs associations de propriétaires adressent un recours en annulation auprès de la Cour constitutionnelle. Selon ces associations, la loi enfreint notamment l’art. 10 Const. (principe d’égalité) et l’art. 11 Const. (non-discrimination). La violation concerne différents sujets, dont la façon dont la garantie locative peut être constituée, la publicité du montant du loyer, les travaux de réparations obligatoires à charge du bailleur, etc.
Décision
La Cour constitutionnelle rejette le recours.
Motivation
La garantie locative
Tout d’abord, les parties requérantes estiment qu’il y a un problème avec le montant de la garantie locative. Ainsi, la loi prévoit trois formes de constitution de la garantie :
- un compte individualisé au nom du locataire auprès d’une institution financière ;
- une garantie bancaire qui permet au locataire de constituer progressivement la garantie ;
- une garantie bancaire résultant d’un contrat-type entre un CPAS et une institution financière.
Pour chacune de ces trois formes, un montant maximal différent est établi. Lorsque le locataire opte pour un compte individualisé, le montant de la garantie ne peut pas dépasser deux mois de loyer. Pour les autres formes, le montant maximal est fixé à trois mois de loyer. Les parties requérantes prétendent qu’il n’existe aucune justification objective, pertinente et raisonnable pour cela. En effet, le risque de dégât locatif ou de mauvais paiement – ce à quoi sert la garantie locative – ne dépend pas de la forme que prend la garantie locative.
Selon la Cour, la différence de traitement repose bel et bien sur un critère objectif, qui est la façon dont est constituée la garantie. Le principe est qu’une garantie locative de deux mois de loyer peut suffire pour couvrir les possibles dégâts locatifs. L’objectif est en outre de favoriser le droit à un logement décent, tel qu’il est garanti par l’art. 23, al. 3, 3° Const. La limitation en cas de dépôt sur un compte individualisé tient compte du budget du ménage. Le but est de limiter les conséquences sur le budget d’un premier paiement du loyer qui tombe en même temps que la constitution de la garantie locative.
Cette préoccupation supplémentaire ne s’applique pas aux deux autres formes de garantie et est dès lors pertinente pour réaliser cet objectif. La Cour ne constate pas de conséquences disproportionnées en cas de choix pour un dépôt sur un compte individualisé.
Deuxièmement, les parties requérantes trouvent problématique l’exclusion de la loi sur le crédit à la consommation2. C’est le cas lorsque le locataire choisit de fournir une garantie bancaire avec laquelle il constitue la garantie locative progressivement. Selon les parties requérantes, cette procédure ne permet plus aux bailleurs d’identifier les personnes insolvables. Ceci créerait une différence de traitement avec ceux qui concluent une convention de crédit dans un autre but, sans que soit donnée une justification objective et raisonnable pour ce faire.
La Cour commence par commenter l’objectif de la mesure. Dans le cas d’une garantie locative par garantie bancaire, le locataire s’engage à constituer une garantie complète en faisant des versements mensuels pendant la durée de la convention, pour une durée maximale de 3 ans. Ceci a pour but de favoriser l’accès du locataire au marché locatif et contribue à garantir son droit à un logement décent.
Comme indiqué, les parties requérantes estiment qu’il est rendu impossible pour les bailleurs d’identifier les personnes insolvables. Cependant, pour la Cour, cette conséquence indirecte ne pèse pas lourd face à l’objectif recherché par le législateur. L’objectif visé par l’octroi de cette forme particulière de crédit justifie raisonnablement l’exclusion de la loi sur le crédit à la consommation.
Le moyen n’est pas fondé.
L’exigence de la publicité du loyer demandé
Le deuxième moyen est en rapport avec la publicité du loyer demandé. La loi prévoit que lorsqu’un bailleur met un bien affecté à l’habitation en location, il est obligé dans toute communication publique ou officielle de mentionner le montant du loyer demandé et des charges communes. En cas de non-respect de cette obligation par le bailleur, la commune peut imposer une amende administrative.
Les parties requérantes constatent une différence de traitement entre les bailleurs pour ce qui est de l’exigence de publicité.
Charges communes <–> charges individuelles
Premièrement, ma mention obligatoire des charges communes ne s’applique qu’à la location d’un appartement, pas à la location de logements à un seul locataire (à qui des charges peuvent également être imposées).
Les charges communes doivent donc être rendues publiques, alors que les charges individuelles non. Cette distinction repose selon la Cour sur un critère objectif, qui est la nature des frais engendrés et la nature de l’habitation pour lesquels ils le sont. Cette distinction est pertinente étant donné qu’en principe, il n’y a pas de charges communes pour des habitations distinctes. Cette mesure a pour vocation de combattre la discrimination lors du choix du locataire et de protéger le consommateur.
La Cour estime par conséquent que la mesure est raisonnablement justifiée. En effet, le montant des charges communes peut s’avérer très élevé. En outre, la fixation de ces charges peut avoir pour objectif de décourager une certaine catégorie de locataires en en augmentant le montant ou en plaçant les candidats devant le fait accompli.
Bail affecté à une habitation <–> autres conventions de bail
Deuxièmement, l’obligation de mentionner le montant du loyer demandé et des charges communes ne s’applique qu’exclusivement aux locations de biens destinés à l’habitation au sens large. Cette obligation ne s’applique pas aux autres conventions de bail.
La différence de traitement entre un bien destiné à l’habitation et un bien loué dans un autre objectif repose selon la Cour sur un critère objectif. Ici aussi, le but est de combattre la discrimination, de protéger le consommateur et de garantir le droit à un logement décent. C’est pourquoi la mesure est raisonnablement justifiée.
La Cour rejette également les autres griefs en rapport avec ce moyen – que nous ne développerons pas plus ici.
Le moyen est non fondé.
Les réparations obligatoires pour le bailleur
En matière de bail à résidence principale, le bailleur est obligé d’effectuer toutes les réparations autres que les réparations locatives, qui sont définies par arrêté royal et qui ont un caractère impératif. Dans les autres régimes de location, les réparations locatives sont de droit supplétif.
Ceci revient à ce que le bailleur est désormais obligé d’effectuer toutes les réparations qui ne peuvent pas être considérées comme des réparations locatives. Les parties ne peuvent plus en décider autrement lors de la conclusion d’un bail concernant la résidence principale du locataire. Dans les autres régimes de location, cela reste possible. Selon les parties requérantes, il n’existe pas de justification objective et raisonnable pour cette différence de traitement.
Selon la Cour, la différence de traitement repose sur un critère objectif. La mesure vise à renforcer la position du locataire sur le marché locatif pour les logement qui ont fonction de résidence principale. Dans ce cadre, il est référé à l’accord de gouvernement qui prévoyait une évaluation de la législation sur le bail. Un nouvel équilibre entre les droits et obligations des locataires et des bailleurs était recherché. Le législateur est parti du constat que l’accès au logement devenait « de plus en plus difficile pour les familles nombreuses ou pour les familles n’ayant pas de revenus ou alors des revenus modestes ».
A la lumière de cet objectif, le législateur a pris une mesure qui, selon la Cour, est raisonnablement justifiée. Le législateur pouvait mettre impérativement à charge du bailleur les réparations autres que les réparations locatives.
Le moyen est non fondé.
Autres moyens
La Cour se penche également sur les moyens concernant le respect de la vie privée et l’annexe à la convention de bail. Ces moyens ne sont pas développés ici. Enfin, la Cour examine encore un moyen concernant l’exigence d’un bail écrit. Pour ce faire, la Cour se réfère à un autre arrêt rendu à la même date. Pour retrouver la motivation plus détaillée, nous vous invitons à prendre connaissance de notre résumé de cet arrêt.
Signification dans un contexte plus général
Il est important de noter que le 1er janvier 2018 (Région de Bruxelles-Capitale3), le 1er septembre 2018 (Région wallonne4) et le 1er janvier 2019 (Région flamande5), des nouvelles législations régionales du bail sont entrées en vigueur. De nouvelles règles sont donc d’application pour les contrats conclus à partir de cette entrée en vigueur, mais dans les grandes lignes, les principes de la précédente législation du bail restent d’actualité.
Le décret flamand du bail contient toutefois une importante modification, car le montant de la garantie locative a été augmenté de 2 à 3 mois de loyer. Cette décision a été critiquée par les associations de lutte contre la pauvreté, car elle rend plus difficile la conclusion d’un contrat de bail par les locataires plus faibles financièrement. D’autre part, le décret prévoit un nouveau système d’emprunt de garantie locative à taux-zéro. Il n’est pas encore si dans la pratique, cette mesure aidera les locataires vulnérables à réaliser leur droit au logement.6
Par ailleurs, il apparaît dans la pratique que l’obligation de mentionner le montant du loyer demandé par les bailleurs reste souvent lettre morte. Or, le non-respect de cette obligation n’est que trop peu contrôlé ou sanctionné par les communes.7
Texte intégral de la décision
Références
1 art. 97-103 de la loi du 25 avril 2007 portant des dispositions diverses (IV), M.B. 8 mai 2007
2 loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation, M.B. 9 juillet 1991
3 Ordonnance du 27 juillet 2017 visant la régionalisation du bail d’habitation, M.B. 30 octobre 2017.
4 Décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation, M.B. 28 mars 2018.
5 Décret du 9 novembre 2018 contenant des dispositions relatives à la location de biens destinés à l’habitation ou de parties de ceux-ci, M.B. 7 décembre 2018
6 X., “Hogere huurwaarborg zet toegang tot wonen voor mensen in armoede verder op de helling”, http://netwerktegenarmoede.be/standpunten/wonen-water-en-energie/nieuws/hogere-huurwaarborg-zet-toegang-tot-wonen-voor-mensen-in-armoede-verder-op-de-helling
7 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, Rapport bisannuel 2016-2017, Citoyenneté et pauvreté, Bruxelles, 2018, p. 23.
Mots-clés
Art. 23 Const. (droit à un logement décent) ; Garantie locative ; Loi sur les baux de résidence principale ; Décret sur le bail d’habitation ; Art. 10 Const. (principe d’égalité) ; Art. 11 Const. (non-discrimination)